Pérou, petit trekking en terre inca
Il est des mythes qui incitèrent à aller de l'avant, à ouvrir de nouvelles routes jusqu'à de nouveaux territoires retirés. Ce fut le cas du Royaume du Prêtre Jean qui amena des expéditions chrétiennes jusqu'en Ethiopie, en Mongolie ou en Chine avec comme figure de proue Marco Polo. Ce fut également une des explications de la conquête de l'Amérique avec le mythe de l'Eldorado ou de la Cité des Césars qui entraîna des expéditions espagnoles de la Floride avec Cabeza de Vaca jusqu'à la Patagonie. Le Machu Picchu n'est peut-être pas cette légendaire cité d'or que cherchaient les conquistadors ibériques mais leur soif de ce métal leur permit d'avoir conscience de l'existence de la cité perchée dès le XVIème siècle, les chroniques en attestent (Ocampo par exemple).
Laissons passer quelques siècles où le voile des ans conduit à un quasi-oubli. Les Incas ont fui et les Espagnols n'ont pas colonisé. Aussi la nature reprend-t-elle ses droits et couvre-t-elle la montagne d'une jungle dense. La végétation est telle que des expéditions passeront à côté sans en avoir conscience. Seules quelques familles ont encore à l'esprit que sur les cimes un lieu antique sommeille.
En 1911, un professeur américain, Bingham, vient au Pérou étudier l'histoire de l'indépendance. Ce faisant, il découvre des sites précolombiens qui vont progressivement détourner son attention de son sujet initial. Il se met alors à la recherche d'une citadelle inconnue du nom de Vilcabamba évoquée dans les chroniques là-encore. Par une partie du Chemin de l'Inca, il parvient dans les environs de l'Aguas Calientes moderne et rencontre deux familles pour le renseigner. Celles-ci lui signalent l'existence d'une ancienne cité au-dessus de leurs têtes. Voilà comment Bingham redécouvre un site au potentiel dont les quelques locaux n'avaient pas conscience.
Imaginez cet explorateur évoluant dans ce dédale vert et inextricable et tombant nez-à-nez avec des ruines inestimables à l'issue de semaines de marche. Ce n'est pas Vilcabamba mais quelle récompense ! Un rapide coup d'oeil aux monts environnants permet de se figurer plus facilement quelle devait être la physionomie de l'endroit à cette époque. Bingham prend des clichés de la place qu'il va ensuite présenter à la National Geographic. Celle-ci lui confie les rênes d'une nouvelle expédition en 1912 puis 1915, en équipe cette fois-ci. Entouré d'archéologues, il conduit des fouilles qui permettent de mettre à jour 180 squelettes puis des objets divers (poteries, ustensiles ...). Ces trouvailles, il les ramène aux Etats-Unis mais elles comportent peu d'or et d'argent selon l'inventaire officiel. C'est ainsi qu'est né avec le temps un sujet de crispation avec le pays de l'Oncle Sam car le Pérou souhaite récupérer son patrimoine. Pour le centenaire de la découverte en 2011, un premier transfert a été programmé. D'autres sont à suivre.
Ce matin c'est avec cette histoire que nous débutons la visite de la place. Après quelques photos incontournables, Percy nous invite sur une terrasse relativement isolée pour nous donner de nombreuses explications. La configuration des lieux incite à penser qu'il s'agit d'une cité principalement pour les nobles car un seul chemin permet d'accéder au site et d'en repartir et que celui-ci est barré par une porte. Toutefois, il faut savoir que la cité ne fut jamais totalement finie car ses habitants durent fuir devant les nouvelles de la progression des Espagnols. Pour autant, les conquistadors eux-mêmes ne vinrent pas jusque-là, ils eurent juste connaissance de cet endroit comme je l'ai dit précédemment. Certains traits de l'architecture témoigneraient de cette édification en vitesse : la partie basse de quelques bâtiments est parfaitement ajustée comme de coutume tandis que la partie supérieure est plus approximative. En outre, les carrières se trouvent directement sur le site et des blocs de granite partiellement travaillés restent accrochés à la roche.
Machu Picchu n'avait pas de fonction militaire. Sur une partie du site se trouvaient les habitations tandis que sur l'autre se situait la zone religieuse. Les nombreuses terrasses étaient probablement partiellement cultivées mais les principaux lieux de ravitaillement et de production se trouvaient ailleurs comme à Wiñay Wayna. L'agriculture n'était pas une fin en soi ici.
D'ailleurs, une partie de l'espace était aménagée en jardins. Un carré de verdure le rappelle, planté de nombreuses variétés de l'orchidée à la feuille de coca en passant par les fruits.
Tout en haut, dressée telle une sentinelle, la Maison du Gardien est vouée à la surveillance du site et de son accès. Elle fait partie des bâtiments les mieux restaurés et préservés à ce jour.
Autrefois, la cité était entourée d'une enceinte et le seul point d'entrée ou de sortie était une porte fermée, barricadée à l'aide de planches en bois disposées verticalement et horizontalement. S'agissant d'une situation rare, cela renforce la théorie que la place était accessible surtout aux nobles.
Machu Picchu est entouré de sommets. Avant sa construction, les Incas se sont rendus sur plusieurs d'entre eux pour y pratiquer le sacrifice d'un lama et demander l'autorisation à une de leurs divinités de pouvoir établir une cité en ce lieu. Sur une des montagnes, ils n'ont su atteindre le sommet alors, sur le site même, ils ont taillé dans une immense pierre son profil et ont effectué leur sacrifice à son pied.
L'édification a alors pu démarrer. Selon la situation sociale de ses habitants (peuple pour les travaux, nobles ou religieux), les murs présentent des spécificités quant à l'ajustement des pierres ou à leur inclinaison pour résister aux séismes. Il n'y a qu'à voir pour s'en convaincre une des photos ci-dessous avec un mur impeccable et son vis-à-vis moins appliqué.
Des outils ont été retrouvés à l'occasion de fouilles. Des khipus en laine ou en coton aussi. Il s'agit de cordelettes de différentes couleurs et comportant des noeuds plus ou moins nombreux et espacés. N'ayant pas d'écriture, des spécialistes pensent que les khipus étaient un moyen de communication plus que des instruments pour la comptabilité comme il fut initialement envisagé. Mais à ce jour, personne n'est encore parvenu à les déchiffrer et leur fonction exacte reste un mystère.
Juste après la carrière et le jardin agronomique, nous parvenons à un temple à 3 fenêtres dédié à la trilogie andine. Une demi-croix permet de l'affirmer. Et Percy de nous expliquer que, lors du solstice du 21 juin, le soleil vient frapper cette demi-croix et la complète, au sol, par son ombre. Ingénieux ...
Notre guide apporte également des précisions sur une rumeur qui circule au sujet de ce lieu et prétendant que le Machu Picchu s'enfoncerait d'un centimètre par an. Des Japonais ont conduit une étude sur le sujet qui a permis de montrer un tassement de 6 millimètres sur 5 ans. Mais en fait rien ne permet de conclure sur le sujet car il faut garder à l'esprit que, du fait du jeu des plaques tectoniques, les montagnes bougent également.
Petit passage par une sacristie avant de grimper jusqu'à Intihuatana et son cadran solaire. Au 21 décembre, les rayons du soleil passaient la Porte de même nom que nous avons franchie hier et venaient éclairer une de ses faces. Cet instrument servait, en suivant jour après jour l'évolution de l'ombre, à déterminer les dates des fêtes pour les solstices. C'est en l'honneur de cette course annuelle que le nom de cet endroit signifie "où est attaché le soleil". Un temple de petite dimension et une terrasse tout aussi réduite permettaient les célébrations, pour une cérémonie exclusivement entre prêtres.
Nous redescendons alors de cette proéminence, passons devant la longue place herbeuse et à proximité de lamas pour parvenir au pied du Huayna Picchu (signifiant "jeune montagne"). Sur une placette, deux maisons permettent d'étudier la structure des toits : il s'agit d'une charpente en bois recouverte de paille et dont les poutres étaient attachées entre elles au moyen de liens en cuir de lamas. Les toits ne sont bien sûr pas d'origine, ils ont été reconstitués avec l'aval de l'UNESCO. Leur épaisseur atteint les 10cm mais, à cause de l'humidité, il faut changer la paille tous les 4 à 5 ans. Les Incas mettaient donc une couche plus importante pour avoir à la changer moins souvent.
En retournant vers l'entrée du site, nous traversons d'abord un atelier de céramique puis de tissage. Il s'agit de vastes pièces de plain-pied. Non loin de là, les habitations comprennent en revanche deux étages dont le plus haut faisait office de grenier. Pour y accéder, il fallait passer par l'extérieur. Le rez-de-chaussée était d'aménagement assez spartiate : aucun meuble, des couvertures en laine d'alpaga ou de lama pour couche, des niches pour le rangement. Aucune fenêtre ne laissait entrer le jour (elles étaient toutes aveugles) car il ne s'agissait que de dormir dans cette pièce unique. Celle-ci comprenait une à deux portes fermées uniquement à l'aide d'un tissu, si tissu il y avait. La cuisine, commune, se préparait à l'extérieur. Une telle configuration laisse présager en tout cas que la taille de la famille devait être limitée.
Un peu plus loin, deux vasques remplies d'eau rappellent une des compétences spécifiques des Incas : l'astronomie. Il s'agit en fait de miroirs qui, pour éviter d'avoir à lever trop longtemps la tête vers les cieux -posture douloureuse à la longue-, permettaient de voir la même chose mais en l'inclinant vers le sol.
La visite guidée se termine au milieu de la foule par deux dernières curiosités.
La première est un condor taillé dans la roche : au sol, sa tête est légèrement détachée du reste de son plumage par un espace creux qui figure sa collerette. Sur le mur qui s'élève verticalement derrière, l'anecdote veut que l'on y voie des ailes et, en arrière-plan, une niche où étaient disposées les momies. Le condor était en effet l'animal qui accompagnait les morts au ciel dans la croyance populaire d'alors.
Enfin, nous terminons par le bâtiment incontournable de tout site inca digne de ce nom : le Temple du Soleil à la forme arrondie. Il n'avait pas de toit et les deux fenêtres ménagées dans ses murs permettaient aux solstices de s'immiscer dans le lieu sacré. Il est perché sur un éperon déchiré par une faille. Lorsqu'on s'y engouffre, on aboutit au Temple de la Pachamama, la Terre Mère.
10h30. Les explications s'achèvent bien que l'on remette des sous dans le juke-box. Le groupe se disperse car nous avons quartier libre jusqu'au départ de notre train. A nous de bien gérer pour atteindre l'hôtel dans les temps. Nous savons d'ores et déjà que nous ne pourrons pas monter au Huayna Picchu dont l'entrée est payante et où il faut réserver avec anticipation. Laëtitia étant motivée (désolé pour la redondance), nous reportons nos espoirs sur le Machu Picchu (une montagne) qui permettra d'avoir une autre vue surélevée. Toutefois, mes illusions volent en éclats car là-aussi il faut payer pour pouvoir monter. A titre personnel, je suis vraiment abattu. En effet, je n'ai pas éprouvé de totale surprise en arrivant devant cette merveille du monde moderne alors que d'habitude, la magie d'un site vient du fait que je le découvre pour la première fois, sans savoir à quoi m'attendre. Dans le cas du Machu Picchu ma famille y a déjà mis les pieds et, sans compter des reportages à la télévision, je l'avais donc déjà parcouru de façon parcellaire à travers des films et des photos. Certes ce n'est pas tout à fait pareil que de se trouver devant le vrai site, sur place, et c'est pourquoi j'en ai parlé avec admiration jusqu'à présent mais la surprise n'a été que partielle je le maintiens. Alors ce que j'attendais le plus, c'était de pouvoir le voir soit au lever du soleil comme je l'ai précisé à la fin de mon article d'hier, soit depuis les sommets des montagnes environnantes. Or je suis rattrapé aujourd'hui dans mes espérances par la logique implacable de l'argent-roi. D'où la désillusion.
Nous nous dirigeons ensuite vers le Pont de l'Inca, l'unique curiosité que nous n'avons pas encore pu apercevoir. Nous parvenons au checkpoint et y apposons notre signature avant de nous engager sur un sentier très étroit et vertigineux. Au bout d'une dizaine de minutes, nous atteignons enfin le site. Aujourd'hui, le pont à bascule est écroulé et des planches de bois le reconstituent.
Nous rebroussons chemin, signons de nouveau le registre pour assurer que nous avons survécu et décidons de nous installer une heure sur une terrasse pour profiter de la vue sur le site, du cadre, de la rivière en contrebas, de l'habileté d'une civilisation, de la finesse de l'architecture ... L'imaginaire permet à l'Histoire de nous rattraper de l'implantation inca au sommet de cette montagne jusqu'à l'arrivée des conquistadors en Amérique Latine en général et au Pérou en particulier. Laëtitia nage en plein bonheur et son silence est d'or. Oui tu y es enfin, tu y es vraiment !
Mais toute bonne chose à une fin et il nous faut bien repartir. Ayant encore du temps devant nous, nous rebalayons seuls les quelques endroits que nous avons pu manquer dans la visite avec notre groupe. Au détour d'une allée, je surprends une viscache en train de se dorer la pilule au soleil. Les plus naturalistes du groupe la définissaient comme un "lapin-écureuil". Je vous laisse vous figurer une telle créature avant de vous en révéler l'apparence dans un prochain article.
Nous quittons le site en passant devant les maisons des nobles elles-aussi en bon état et aux dimensions incroyables. Un coup d'oeil à l'intérieur nous a interloqué tellement il y avait d'espace.
Vers 13h, nous nous dirigeons vers les bus pour redescendre dans la vallée. Nous parvenons largement dans les temps en bas pour récupérer les affaires à l'hôtel puis filer à la gare. Cette fois-ci, je serai bien assis à côté de ma coéquipière pour un trajet d'environ 1h30.
A Ollantaytambo, nous retrouvons notre bus qui va nous ramener sur Cusco après avoir récupéré nos bagages au camping. Sur fond de coucher de soleil, nous traversons de larges vallées à la teinte orangée. Quelques sommets pointent leur nez, couverts en partie d'une neige éternelle mais en recul. Nous gravissons un col avant de basculer, la nuit étant tombée, vers un Cusco illuminé. Nous dormirons ce soir dans un hôtel différent de celui d'il y a deux jours. Il s'agit à présent davantage d'une posada, à peine plus éloignée de la Plaza de Armas.
Avec Laëtitia, je retourne à proximité du restaurant de l'autre soir et pénètre dans un autre de petite dimension et aux couleurs locales. Nous voyons la cuisine préparée sous notre nez avec des produits frais sortant d'on ne sait où, un four des plus traditionnels qui rappelle celui d'un boulanger d'antan. Un groupe vient animer l'endroit de quelques airs andins. L'occasion se présente enfin pour moi de goûter ce fameux steak d'alpaga dont j'ai tant entendu parler depuis quelques jours dans le groupe. Vraiment très tendre et savoureux, j'adore !