Pérou, petit trekking en terre inca
Pour gagner Machu Picchu, il y a plusieurs options : 1) partir de Cusco en minibus pour le kilomètre 82 et accomplir un trek de 4 jours, 2) prendre le train jusqu'au kilomètre 104 et marcher une journée, 3) prendre le train jusqu'au terminus d'Aguas Calientes et gagner le site en bus. Pour huit d'entre nous, la seconde solution est celle que nous avons retenue. Pour Percy et les trois autres personnes, ce sera la dernière proposition car le trek nécessite un permis spécial réservé plusieurs mois à l'avance (500 places seulement par jour, guides et porteurs compris).
A 6h, nous nous dirigeons vers la gare d'Ollantaytambo en longeant la voie ferrée depuis le camping. Nous y recevons notre pique-nique et notre billet. Laëtitia est dans un autre wagon que le mien, nous sommes le seul binôme à qui cela arrive. Tant mieux pour elle, ça lui fera des vacances ! Les wagons ne communiquant pas, je me retrouve avec un seul couple du groupe. Nous sommes livrés à nous-mêmes pour descendre au bon endroit et dos à la marche ce qui ne facilite pas l'anticipation. Dans mon carré, une grand-mère, sa fille et sa petite-fille, clientes tellement privilégiées qu'elles ont le droit à un accueil particulier et impressionnant avec majordome et remise d'un courrier personnalisé.
Le train longe la rivière Urubamba qui bondit d'un rocher à l'autre au fond d'une gorge étroite, surplombée d'immenses sommets coiffés de neige. Une vision agréable s'il n'était quelques traces d'une pollution préoccupante du cours d'eau avec une sorte de mousse-écume à la couleur peu naturelle. De temps à autre, nous traversons un tunnel. Les haut-parleurs diffusent en continu des reprises au goût parfois discutable parce que Titanic au milieu des Andes ça tranche autant qu'un Bushman à la tête du dernier Airbus.
Sur la fin du parcours, nous avons le droit à un service de qualité avec boisson et encas. J'en profite pour sensibiliser innocemment le personnel qu'il faudra me signaler le kilomètre 104. Une dégustation plus tard, le train s'arrête, une poignée de secondes s'écoulent. Le serveur pose son regard sur moi et s'affole : il faut descendre de suite !!! 2 bonds gigantesques nous permettent, en l'absence de quai, d'atteindre le plancher des vaches. En quelques pas supplémentaires, je retrouve avec plaisir ma coéquipière et nos guides du jour : John est le plus âgé et expérimenté, mais ni lui ni moi ne nous sommes souvenus du prénom de son compère plus effacé.
Après l'enchaînement d'un pont suspendu, d'un checkpoint filtrant les randonneurs et d'une pause pour procéder aux ultimes préparatifs, nous démarrons et parvenons en peu de temps à Chachabamba. Ce site a été déserté à l'arrivée des Espagnols en 1533. Sa première vocation était militaire : afin de contrôler la jungle, des postes étaient disposés tous les 10 à 15 km. Un second rôle est religieux avec un temple et son autel pour les sacrifices animaliers. Le 21 décembre, le soleil passait à travers une fenêtre du temple et venait baigner l'intégralité de l'autel de sa lumière dorée. Enfin, les dernières fonctions étaient commerciales et résidentielles : 5 à 10 personnes habitaient là en permanence mais des hôtes de passage pouvaient y manger et y dormir. Les lamas et alpagas pouvaient transporter une quinzaine de kilogrammes de marchandises entre deux postes ou des messagers pouvaient répandre à toute vitesse des informations venant du centre de l'Empire vers sa périphérie en se relayant à chacun d'eux. Il ne subsiste aujourd'hui que des ruines à 60% d'origine. Les toits, autrefois en bambou, ont disparu depuis des lustres.
En sortant de cette curiosité, nous croisons un chemin inca. Du temps de l'Empire, il en courait sur des milliers de kilomètres de Quito en Equateur jusqu'au Chili. Celui-ci est bordé occasionnellement d'une des 50 espèces d'orchidées acclimatées à la région.
Notre progression se poursuit entre les nombreuses marches à escalader et les sentiers en balcon. Un faux pas pourrait nous amener à dégringoler une pente sacrément inclinée. Le vertige doit être assez compliqué à maitriser dans une telle randonnée. Chemin faisant, j'échange avec John ou discute un peu avec Laëtitia. Seuls Martine et Patrick tiennent vraiment le rythme entre les pauses. Le reste du groupe est plus éparpillé bien que nous ne forcions pas du tout.
A l'occasion du passage près d'une cascade, nous resserrons les rangs le temps d'une photo. La chute d'eau est alimentée par une brume chargée d'humidité descendant des sommets que les locaux comparent à un feu de forêt. Un nouveau site approche et l'environnement a tourné à la jungle depuis une centaine de mètres. C'est ainsi, derrière un rideau végétal dense, que se présentait Machu Picchu quand il fut découvert "officiellement". Mais pour le moment c'est Wiñay Wayna qui nous tend les bras ou plutôt ses escaliers. Son nom signifie "éternellement jeune" et correspondrait à l'appelation d'une orchidée locale qui fleurit toute l'année. Le site fut également découvert par Bingham. Il pouvait héberger une dizaine de familles. Ses fonctions étaient administratives entre le site au bord de l'Urubamba et celui d'Intipata au-dessus, mais aussi agricoles et religieuses tout en haut avec son Temple du Soleil.
Disposant de temps libre, nous errons un peu dans la place, prenant la photo qui me plaît le plus entre toutes : chacun assis en tailleur dans sa niche.
Il est alors 11h ou 11h30 et on s'arrête pour pique-niquer. Mais n'étant pas habitué à manger avant les douze coups de cloche, notre binôme repousse à plus tard le déjeuner et contemple le site où nous nous trouvons ainsi qu'une large partie de l'itinéraire matinal encore visible.
Après un nouveau checkpoint et fort de l'accord de John, nous partons à deux en avant, presque seuls au monde, jusqu'à une rampe quasi-verticale. Un vrai mur de marches au sommet duquel nous installons notre salle à manger panoramique. Le temps de nous ravitailler, la caravane passe. Plus que 10 minutes de marche plus facile pour atteindre la Porte du Soleil ou Intipunku.
Une dernière courbe à 90° nous récompense alors de nos efforts en dévoilant une des sept nouvelles merveilles du monde en contrebas : le Machu Picchu. Le voilà enfin, perché sur son éperon rocheux, ayant résisté au temps et aux éléments. Témoignage d'un passé où les bâtisseurs avaient un talent inouï et ne craignaient pas de défier la pesanteur. Cusco était assurément la capitale de l'Empire mais le Machu Picchu est la vitrine de tout un pays et le symbole d'une civilisation parmi les plus marquantes de l'Histoire de ce continent en dépit d'une hégémonie de courte durée.
Après une petite pause pour immortaliser l'instant, nous entamons la descente vers le site. En peu de temps, nous sommes rattrapés par une météo capricieuse. En queue de peloton, sur des pavés rendus glissants par la pluie, je discute avec le second guide, le plus jeune des deux. Il m'explique qu'il agit pour promouvoir et sauvegarder les traditions en se rendant directement dans les écoles par exemple ou en conduisant des scolaires en ce lieu pour leur faire prendre conscience de la richesse de leur patrimoine. La semence a du mal à prendre auprès d'une jeunesse mordue du numérique et du virtuel mais il a déjà remporté quelques victoires dont il est fier.
Il est écrit que le ciel ne nous laissera pas de répit aujourd'hui. Après avoir patienté un temps sous un abri, John décide que nous descendons sur Aguas Calientes. Il n'est que 15h mais de toute façon la visite n'était pas prévue au programme du jour. Une longue file s'étend sous la pluie et en bordure de chaussée. Au passage d'un autobus, mes jambes nues deviennent aussi mouchetées qu'un léopard mais ces tâches ne sont guère seyantes. Nous finissons par monter à bord d'un véhicule, ruisselants.
La descente est une succession de lacets très espacés les uns des autres. La condensation sur les vitres cache partiellement une végétation haute et dense. Le fond de vallée se rapproche de plus en plus mais toujours aucune construction en vue. En 20 minutes, nous arrivons pourtant au centre d'Aguas Calientes, ville qui a dû se développer uniquement pour répondre aux nécessités d'un tourisme de masse car presque tout est échoppe touristique, restaurant ou hôtel. Conduits à notre hébergement du jour, nous sommes livrés à nous-mêmes ne sachant pas à quelle heure nous rejoindront le reste du groupe et le guide. Nous en profitons donc pour déambuler en long, en large et en travers, se procurant souvenirs et cartes postales. Sur les berges de la rivière, les curiosités ne sont pas légion aussi avons-nous probablement fait le tour des fontaines, statues et autres édifices publics au cours de notre attente.
Le groupe reconstitué, nous nous rendons dans un restaurant traditionnel où nos agapes sont accompagnées par les airs de musiciens traditionnels. Chacun d'eux manie avec succès trois instruments : flûte de pan, guitare et percussions.
La journée se termine à titre personnel par une déception lorsque nous apprenons que notre train de retour est le lendemain à 14h30 et que la montée au Machu Picchu est prévue pour 6h, soit après le lever de soleil.